Vie associative : une parole à 4 voix ?

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Vie associative : une parole à 4 voix ?

© Cambon

La loi du 31 juillet 2014, communément appelée loi ESS, comporte un certain nombre de dispositions concernant l’organisation des acteurs de l’ESS et de la vie associative. Quatre structures dont l’articulation est problématique et qui peinent à faire entendre leurs voix dans le débat public.

La loi ESS (relative à l’économie sociale et solidaire) a tout d’abord confirmé l’existence de deux conseils qui existaient au préalable : le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS qui succède au Conseil supérieur de l’économie sociale) et le Haut-Conseil à la vie associative (HCVA).

Manque de visibilité Conseil supérieur de l’ESS

Malgré une nature commune (présidence par un ministre ou son représentant et une fonction d’interface entre le gouvernement et les acteurs), les deux conseils n’ont pas la même visibilité. Si les travaux du HCVA sont facilement repérables sur le site asso.gouv.fr qui permet de prendre connaissance de ses avis mais aussi de ses travaux en cours, la présentation des travaux du CSESS est pour le moins succincte... se résumant à une page sur le portail ministériel consacré à l’ESS.

Le CSESS travaille mais il n’a pas de stratégie, même minimale, pour faire connaître le résultat de ses travaux, et ce sont certains de ses membres qui s’y attellent. C’est d’autant plus regrettable que ses productions sont de qualité. Par exemple, le Guide des bonnes pratiques, que le Conseil devait élaborer en application de l’article 3 de la loi ESS, est opérationnel et fait l’objet de présentations sur le terrain à l’initiative des Cress.  Un document synthétique, « Égalité entre les femmes et les hommes dans l’ESS », a montré les progrès à faire pour une réelle égalité dans l’ESS. Le CSESS a également formulé des orientations pour éclaircir le concept d’innovation sociale en application de la mission confiée par l’article 15 de la loi ESS.

L’enjeu des personnalités qualifiées


Dans leur composition, le CSESS et le HCVA prévoient un certain nombre de « personnalités qualifiées choisies parmi les experts de l’économie sociale et solidaire » pour le premier, de « personnalités qualifiées en raison de leurs compétences respectivement en matière de droit, de fiscalité, d’économie et de gestion, de sociologie et de ressources humaines » pour le second. Cela permet de bénéficier d’une expertise. Mais, pour le CSESS, le gouvernement a décidé de ne pas nommer d’universitaires, mettant fin à un apport important de Danièle Demoustier, maître de conférences à Sciences Po Grenoble, alors que, pour que le HCVA, il a nommé Laurent Gardin, de l’université de Valenciennes, et Viviane Tchernonog, de l’université de Paris-Sorbonne.

Dépendance par rapport au  pouvoir

Malgré leur travail et l’investissement de certains de leurs membres, le CSESS et le HCVA ont, par nature, une forte limite à leur action : leur dépendance par rapport au pouvoir qui évite de les solliciter sur des sujets délicats. Ainsi, le HCVA n’a rien exprimé sur l’arrêt brutal des contrats aidés, un sujet qui a pourtant fait largement débat au sein de la vie associative au cours des derniers mois. Le CSESS n’a pas non plus débattu de la pertinence de développer un programme de contrats à impact social. De plus, ces deux conseils sont confrontés aux conséquences des changements de configuration gouvernementale.

Le rattachement de la vie associative au ministère de l’Éducation nationale, dont la culture est très différente de celle des services de la Jeunesse et des Sports, pourra avoir des conséquences, par exemple sur les arbitrages entre services de l’éducation et associations pour la priorité à accorder aux contrats aidés résiduels. Et le rattachement de l’ESS au ministère de la Transition écologique et solidaire comme la nomination d’un haut-commissaire à l’ESS et à l’innovation sociale ne peuvent que mettre en porte-à-faux un Conseil dont le décret du 24 juin 2015 précise qu’il est présidé par le « délégué interministériel à l’innovation, l’expérimentation sociale et l’économie sociale » ...poste supprimé le 31 décembre 2017 !

La Chambre française de l’économie sociale et solidaire

Les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (Cress) ont elles aussi changé de nature avec la loi ESS. De libre organisation d’acteurs ayant choisi l’échelle régionale, elles sont devenues une véritable institution, liant leur existence à la signature d’une « convention d’agrément » par l’État et le conseil régional, curieux oxymore, associant ce qui relève, d’une part, d’une décision unilatérale, l’agrément, et ce qui tient, par nature, du contrat entre parties, la convention... Leur organisation en Conseil national des Cress est également inscrite dans la loi. Ce regroupement devient une des composantes d’une pure création de la loi de 2014 qui, dans son article 5, pose l’existence et la mission représentative de la Chambre française de l’économie sociale et solidaire (CFESS).

Celle-ci succède, comme organisation représentative de l’ensemble de l’ESS, au Ceges, Conseil des entreprises et groupements de l’économie sociale. Elle a choisi de se faire connaître sous le nom de ESS-France. Elle a produit un rapport remarquable sous l’égide de Frédéric Tiberghien sur « Le financement des entreprises de l’ESS » comportant pas moins de 97 propositions. Néanmoins, ESS France peine à exprimer une position réactive de l’ESS dans le débat public, ce qui serait pourtant une de ses fonctions, restant plus dans une logique d’équilibre entre les composantes que porteuse d’une position commune, malgré la personnalité reconnue de son président, Roger Belot, ancien PDG de la Maif.

Les rapports du HCVA

Les derniers rapports du HCVA ont eu pour sujets : « Favoriser l’engagement des jeunes à l’école. Pour une citoyenneté active » et « Les associations et l’entrepreneuriat social ». Dans ce dernier, le HCVA montre que la complémentarité n’est possible que s’il n’y a pas de confusion. Son dernier avis concerne l’évaluation de la mise en œuvre de la charte des engagements réciproques signée en 2014.

Articulation problématique

Les Cress, qui ont dû affronter pour la majorité d’entre elles la fusion des régions dans un contexte où elles sont contraintes d’adapter leur organisation au nouveau découpage territorial, ont pu s’appuyer sur la loi pour s’élargir aux « nouveaux entrants » et s’affirmer comme représentants collectifs légitimes de l’ESS en région, ce qui sera confirmé dans les nominations, début 2018, des membres des Ceser (conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux). En revanche, au niveau national, l’articulation entre ESS France et le CNCress (Conseil national des Cress) demeure problématique.

Le rapport de l’Inspection générale des finances sur les chambres régionales et leur Conseil national cerne bien la difficulté créée par la configuration issue de l’application de la loi ESS... mais sans traiter la question des moyens nécessaires pour que les Cress puissent assurer les missions nouvelles qui leur ont été confiées par la loi : tenue de la liste des entreprises de l’ESS ou intervention juridique pour faire respecter le périmètre défini par la loi.

Au-delà de cette configuration imparfaite, la question la plus importante est dans la capacité tant de l’ESS que du monde associatif à s’exprimer avec force dans le débat public et à se positionner comme acteur social et politique.

Un article de Michel Abhervé


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