Quel monde associatif... dans le monde d’après ?

Michel Lulek

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Quel monde associatif... dans le monde d’après ?

© Lasserpe

Après une année de crise sanitaire qui a bousculé les associations mais prouvé également leur apport indispensable à la société, un collectif d’une vingtaine d’auteurs fait le point dans un livre prospectif au titre ambitieux : « Quel monde associatif demain ? ».

C’est une synthèse engagée que propose cet ouvrage, né d’une démarche partagée entre acteurs du monde associatif, collectifs citoyens et chercheurs. En proposant une analyse de la situation actuelle des associations sous différents prismes, il tente de cerner les pistes d’un avenir désirable pour le monde associatif. Ce que ses auteurs appellent, dans la foulée de Jean-Louis Laville, un des maîtres d’œuvre de ce livre, un « associationnisme du XXIe siècle ».

Deux scénarios

Pour ce faire, la réflexion avance en deux étapes constituées de deux scénarios. Le premier (scénario noir) est celui de l’affaiblissement du monde associatif. Non que les associations disparaîtraient en tant que telles – rappelons qu’elles sont chaque année de plus en plus nombreuses – mais qu’elles perdraient leur sens et leur spécificité. Leur âme. Les tendances sont connues mais, pour le moment, et malgré la crise, elles semblent plutôt s’affirmer. Atteintes aux libertés associatives, promotion d’un financement par la philanthropie, marchandisation des activités, délitement des relations avec l’administration et fonctionnement de plus en plus managérial, sont autant d’évolutions qui constituent les cinq chapitres du scénario de l’affaiblissement.

-> A lire : Les associations en liberté surveillée

Les sept chapitres du ­deuxième scénario (celui du renforcement) traitent des effets de prise de conscience de la crise du Covid, des financements associatifs, des « communs », puis plus spécifiquement des communs numériques, des territoires, des quartiers et de la coopération au sein de l’économie sociale et solidaire (ESS). Autant de manières d’aborder la même question : comment les associations peuvent-elles ne pas être seulement des prestataires de services ou des outils de réparation sociale (ce à quoi les cantonnerait le scénario 1) mais des ferments d’innovation et de transformation sociale ? La question est d’autant plus ­d’actualité que le Covid est passé par là...

Fenêtre de tir

« Interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties... Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » Ces paroles ne sont pas celles d’un militant associatif, mais d’un certain... Emmanuel Macron. Chiche semblent lui répondre les auteurs de l’ouvrage. Ils pointent certes les risques d’un discours sans effet : « On se souvient qu’après la crise de 2008, un monde de demain était aussi évoqué avec l’idée que rien ne pourrait plus être comme avant... Ce sont en fait des politiques d’austérité qui ont suivi ces incantations, accentuant les inégalités sociales ».

Pour autant, la crise de 2020-2021 semble avoir eu une résonnance différente. D’abord parce que les associations ont prouvé leur pertinence dans cette situation inédite. Ensuite parce que certains dogmes économiques ont, au nom du « Quoi qu’il en coûte », volé en éclat du  fait de ceux-là même qui les défendaient jusqu’alors. Y aurait-il là une fenêtre de tir pour les associations qui agissent pour un monde plus juste et plus humain ?

Les questions ne se posent cependant pas dans un simple rapport associations-pouvoirs publics. Les auteurs sont plusieurs à questionner les premières. Elles sont aujourd’hui, selon les mots de ­Philippe Jahshan, l’ancien président du Mouvement associatif qui vient de passer le relais à Claire Thoury, « à la croisée des chemins ». Les défis qu’elles ont à relever sont certes énormes, mais ils se traduisent aussi dans des questions très concrètes. Et ce n’est pas le moindre mérite de ce livre que de faire ce va-et-vient entre une approche volontiers macro et le quotidien des structures associatives.

« Il me semble essentiel de réaffirmer le rôle politique des associations »

Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif depuis le 16 avril 2021

Nouvelle présidente du Mouvement associatif, pouvez-vous vous présenter ?
Je viens du monde associatif étudiant et plus particulièrement d’Animafac qui m’a accueillie pendant trois ans pour faire ma thèse de sociologie, intitulée « L’engagement étudiant dans un monde d’individualisation : construction identitaire et parcours politiques », soutenue en 2017. À l’issue de cette dernière, je suis devenue déléguée générale du réseau ­Animafac, fonction que j’ai occupée pendant quatre ans. C’est à ce titre que je siège au conseil d’administration du ­Mouvement associatif depuis quatre ans.

Quels sont à vos yeux les enjeux majeurs pour les associations ?
Dans un premier temps, il est indispensable de travailler à la reconstruction du monde associatif dans l’après-Covid. Les associations ont beaucoup souffert de la crise sanitaire. Certaines sont en première ligne depuis plus d’un an et font un travail remarquable et essentiel pour minimiser les conséquences de cette crise sur une partie de la population. Je pense aux associations du sanitaire et social bien sûr, mais aussi à celles qui facilitent la continuité pédagogique ou aident à lutter contre le décrochage ­scolaire.
Dans le même temps, d’autres associations sont, pour partie ou complètement, à l’arrêt : les associations sportives, culturelles, touristiques, etc. L’enjeu est, d’une part, de s’assurer que les associations seront bien au cœur du plan de relance, qu’elles ne subiront pas des diminutions de leurs financements, que leur rôle essentiel sera bien reconnu et, d’autre part, de travailler à une relance des adhésions. Ce point est majeur car nombreuses sont les associations qui vivent grâce à cela et parce que la dynamique associative repose pour beaucoup sur l’implication des bénévoles.

Et au-delà de la crise sanitaire ?
Le deuxième enjeu est la préservation des libertés associatives. Le projet de contrat d’engagement républicain crée une suspicion à l’égard du monde associatif et introduit une nouvelle forme de contrôle vis-à-vis des associations financées ou agréées. Je ne remets pas en question la nécessité de respecter les principes républicains, mais j’interroge l’utilité d’un tel contrat et ses conséquences sur les libertés associatives, alors que la charte des engagements réciproques, coconstruite, existe déjà. Enfin, il me semble essentiel de réaffirmer le rôle politique des associations. Les élections présidentielles et législatives seront l’occasion pour nous de porter des propositions fortes en faveur de la vie associative au service d’un projet de société construit largement avec le monde associatif. Je souhaite notamment qu’une grande consultation soit organisée auprès des individus engagés dans les associations pour donner encore plus de portée à nos propositions.

Trois leviers

La crise de la démocratie et du politique ou les effets du managérialisme ? Repensons déjà nos gouvernances en « pensant l’assemblée générale avant le conseil d’administration » ; ­autorisons-nous de nouvelles formes d’engagement hors des sentiers battus du traditionnel parcours des « vieux » militants associatifs ; construisons des espaces d’initiatives en dehors des commandes publiques et de la rigidité des normes ; bref : innovons !

La sociologue Christine Chognot, avec des mots différents, avance les mêmes propositions : « Pour préserver la capacité des associations à participer à la construction d’un futur choisi, trois leviers semblent déterminants : préserver notre capacité à penser ; agir sur le terrain et même à toute petite échelle ; convaincre en parlant de ce qui se fait ». Jérôme Saddier, président d’ESS France, avance pour sa part les pistes d’une meilleure intercoopération entre les associations elles-mêmes et entre elles et les autres structures de l’ESS.

Des exemples, comme ceux d’associations intervenant dans les quartiers (PoleS, le collectif des femmes des quartiers populaires, Avec Nous), montrent comment sur le terrain ces pistes sont expérimentées de manière concrète et efficiente. « Ce qui se passe sur le terrain en ce moment semble un levier prioritaire pour aller vers un scénario positif supposant une évolution profonde de la culture économique, sociale et politique. L’avenir n’est pas écrit : donner plus de puissance à ces ‘‘petits récits’’ est indispensable pour fabriquer un ‘‘grand récit’’ associationniste, audible plus largement et susceptible de convaincre », développe Christine Chognot.

Plus de liberté et de place

Façon de redonner aux associations et à leurs bénévoles, dirigeants ou salariés, la parole et la main. Et de les inciter à prendre plus de libertés et de place dans un débat public où elles sont souvent « surplombées » par des politiques qui ne les prennent pas au sérieux ou des chercheurs trop critiques. L’ouvrage se termine du reste par un appel au débat : « Ce livre ne vaut que s’il suscite des suites en forme d’échanges et de débats. Celles-ci permettront d’avancer sur le chemin d’une critique doublée d’une reconstruction ». Le chantier est ouvert.

En savoir plus
« Quel monde associatif demain ? Mouvements citoyens et démocratie », sous la direction de Patricia Coler, Marie-Catherine Henry, Jean-Louis Laville et Gilles Rouby, éditions Érès, 2021.

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