Les associations ne sont pas (encore) des entreprises

Michel Lulek
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Les associations ne sont pas (encore) des entreprises

© Michel Cambon

Dans un paysage économique en mutation, les associations sont confrontées à de nouveaux acteurs qui se revendiquent, comme elles, de l’intérêt général ou de l’utilité sociale. En introduisant le concept d’entreprise à mission, la loi Pacte a ajouté à la confusion. C’est ce que constate le HCVA dans un rapport publié le 2 juillet qui demande aux pouvoirs publics de reconnaître le caractère spécifique des associations.

Ce n’est que depuis une douzaine d’années qu’on parle d’entrepreneuriat social ou d’entreprise sociale. Parallèlement, sur le terrain législatif, la loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) de 2014 a intégré dans l’ESS, sous conditions, des entreprises n’ayant pas les statuts canoniques du secteur (association, coopérative, mutuelle ou fondation). On peut être une Sarl ou une SA et être reconnue « entreprise solidaire d’utilité sociale ».

La loi Pacte, adoptée le 11 avril 2019, va plus loin en inventant le concept d’« entreprise à mission » qui vise à élargir le but de l’entreprise au-delà de la recherche du profit. L’article 1835 du code civil introduit en effet cette mention : « les statuts [de la société] peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

Équation impossible

Ainsi, une entreprise pourra désormais devenir à mission en mentionnant dans ses statuts un objet d’intérêt collectif ou général (protection de l’environnement, sauvegarde de l’emploi, maintien d’un savoir-faire, etc.). Si les entreprises se mettent à ressembler aux associations et que les associations, à qui on demande de plus en plus d’autofinancer leurs actions par des activités commerciales, se rapprochent du modèle économique de l’entreprise, on ne va bientôt plus savoir quelles sont les spécificités de chacune.

Cette question est au cœur du très intéressant rapport du Haut Conseil à la vie associative (HCVA) adopté le 2 juillet 2019 qui n’hésite pas à parler de « brouillages », de « paysage embrumé » et de « confusion ». C’est Gabriel Attal, secrétaire d’État chargé de la vie associative, qui avait saisi le HCVA en lui demandant « comment les associations peuvent adapter leur modèle dans ce contexte, comment elles peuvent se situer dans la réflexion qui traverse également l’entreprise et ses missions, tout en conservant leurs spécificités, et notamment, leur indépendance, leur mode de gouvernance et le caractère désintéressé de leur gestion ».

La réponse du HCVA est donnée dès les premières lignes de son rapport : « posée en ces termes, l’équation paraît impossible à résoudre ». Voilà qui est concis, clair et précis !

Protection intellectuelle

Le rapport du HCVA revient avec beaucoup de minutie sur le contexte historique des évolutions du monde associatif depuis 40 ans et l’injonction paradoxale qui lui est faite : évoluer tout en restant fidèle à lui-même.

Il montre comment l’intérêt général « ne semble plus « protégé » par les pouvoirs publics qui, au nom de la concurrence et du libéralisme économique, laissent le secteur marchand lucratif s’approprier la valeur créée par les associations ». Il propose donc que le gouvernement ouvre un chantier sur la protection de la production « intellectuelle d’intérêt général ».

Marges de manœuvre

Le HCVA estime par ailleurs que les pouvoirs publics ont beau jeu de s’abriter derrière la réglementation européenne pour assimiler un peu trop vite les associations à des entreprises comme les autres : « l’État français choisit quasi systématiquement la sécurité juridique la plus grande, la notion d’entreprise dans sa dimension économique, l’uniformisation et les vertus présupposées de la mise en concurrence, aux valeurs portées par le secteur non lucratif et la défense des services sociaux ».

Il demande donc aux pouvoirs publics français d’utiliser toutes les marges que lui laisse le principe de subsidiarité pour reconnaître le caractère spécifique des associations. Ces marges existent :

  • reconnaissance des SSIG (services sociaux d’intérêt général),
  • critère des « associations caritatives » mentionné dans la directive « services » que « la France s’est toujours refusée, jusqu’à présent à prendre en compte »,
  • et jurisprudences de la Cour de Justice de l’Union européenne.

Moment particulier

Le rapport se positionne également contre l’extension du régime du mécénat à des entreprises ou organismes qui pratiquent le partage (même limité) de résultat, et demande l’ouverture de plusieurs chantiers en particulier sur la fiscalité du secteur ou sur le thème de la concurrence. Davantage que quelques préconisations générales ou ponctuelles, c’est donc d’abord un outil de réflexion riche et engagé.

C’est aussi le témoin d’un moment particulier dans l’histoire des associations, que résume bien l’interrogation posée par les sages du HCVA : « à vouloir à tout prix concilier performance économique et utilité sociale, saurons-nous encore dans quelques années opérer une réelle distinction entre « entreprise sociale », « entreprise à mission », « association », « fondation » et « fonds de dotation », entre « activités lucratives avec un but social ou environnemental » et « activités non lucratives et d’intérêt général », entre « don/générosité » et « investissement » ? Dans une course effrénée à l’innovation associée à l’impact, saurons-nous encore financer les projets non innovants mais indispensables au maintien et au développement du lien social ? »

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