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Interview de Jacques-Bernard Magner, sénateur du Puy-de-Dôme et auteur du rapport d’information sénatorial sur la réduction des contrats aidés.
Pourquoi avoir rédigé un rapport sur les emplois aidés ?
En tant que maire, j’ai été confronté en septembre 2017 à l’annonce de la suppression d’une partie des contrats aidés. Concrètement, j’avais un contrat d’avenir et un CUI-CAE dans ma commune dont j’avais déjà signé le contrat de travail... et qui m’ont été supprimés ! J’étais fortement fâché, mon conseil municipal aussi, ainsi que les deux bénéficiaires. Au même moment, je faisais la campagne des élections sénatoriales et je rencontrais beaucoup de maires qui me faisaient remonter la même colère ou la même inquiétude. Ils parlaient pour eux, mais aussi pour les associations de leurs communes qu’ils connaissent évidemment très bien. Du coup, dès que j’ai été élu, j’ai demandé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication dont je suis membre de lancer une mission d’information sur le sujet avec un élu d’un autre groupe politique, en l’occurrence Alain Dufaut, des Républicains. Nous avons travaillé de fin octobre à fin janvier pour rendre notre rapport en février.
Dans le rapport, vous commencez par faire un bilan des dispositifs d’emplois aidés.
Les ministres et le président de la République ont dit qu’ils représentaient une mauvaise réponse au chômage. Nous avons voulu vérifier et le bilan que nous en faisons est beaucoup plus nuancé. En tout cas, il n’est pas nul. Depuis 25 à 30 ans, nous avons eu de 450 000 à 900 000 contrats annuels qui ont permis de donner une activité à des personnes qui, sinon, auraient sans doute été sans emploi. Certes, ce sont des emplois qui demeuraient précaires mais qui, pour les jeunes, constituaient un moyen de se lancer dans la vie active, ou, pour les plus anciens, de pouvoir terminer dignement une carrière. Sans compter qu’ils remplissaient une utilité sociale réelle sur les territoires. Enfin, contrairement à ce qu’on dit, leur coût n’était pas si exorbitant pour la collectivité : une étude de l’Inspection générale des finances de 2012 concluait à un coût bien moindre pour les finances publiques (12 853 € par an et par emploi créé) que celui des exonérations de cotisations patronales sur un Smic (26 429 € par emploi créé). En 2015, une étude d’ATD Quart Monde évaluait pour sa part l’ensemble des coûts liés à la privation d’emploi à plus de 15 000 € par personne et par an.
Le Parcours emploi compétences (PEC) ne présente-il pas les mêmes avantages ?
Nous n’avons rien contre le PEC. Il a son intérêt et nous constatons d’ailleurs qu’il se distingue peu du contrat aidé tel qu’il avait été imaginé par le législateur. Mais il est surtout fait pour les personnes les plus facilement formables. D’autre part, limités à 200 000 (ce qui permettra à Pôle emploi de pouvoir mieux les suivre puisqu’il y en aura moins que de CUI-CAE), les PEC laissent en réalité 200 000 à 250 000 personnes sans solution... Ils excluent de fait toute une partie des actuels bénéficiaires des contrats aidés sans leur ouvrir de nouvelles perspectives d’insertion.
Les associations vont-elles en faire les frais ?
Il y a en tout cas une absence de réflexion du gouvernement sur le devenir des associations. Les pouvoirs publics demandent aux associations de faire mieux en leur enlevant des moyens. Il faut donner aux associations la possibilité d’avoir des salariés, et en particulier pour les petites et moyennes associations pour développer des activités en lien avec les bénévoles. Nous ne sommes pas forcément contre la réduction des contrats aidés, mais cela doit se faire de manière concertée et progressive. C’est pourquoi nous avons proposé d’assurer aux petites associations une période de transition et qu’on augmente donc temporairement de 50 000 le volume d’emplois aidés en 2018. Nous préconisons également d’expérimenter le transfert d’une partie des exonérations de cotisations sociales au profit du financement direct d’emplois publics d’intérêt social. On a l’impression, en entendant les responsables politiques, qu’il n’y a que les entreprises qui comptent vraiment dans notre pays. Or il y a aussi les associations ! La réduction du nombre des contrats aidés relance de fait le débat sur le financement des missions de service public. Le rapport Borello rappelle que la politique de l’emploi n’a pas à financer les missions d’intérêt général. Nous partageons cette opinion, à condition toutefois de l’accompagner d’une alternative de financement crédible.
Comment votre rapport a-t-il été reçu ?
Nous avons eu des retours favorables des associations mais rien d’autre qu’un silence assourdissant du côté des ministres du Travail ou de l’Éducation nationale. Aucune réaction ! Pourtant au sein de notre commission, tous les groupes politiques (à l’exception des deux membres de la République en marche qui sont sortis de la salle avant le vote) ont approuvé notre rapport. Nous avons également demandé à la présidente de notre commission d’organiser un débat en séance sur notre rapport. Ce serait le moyen de remettre le sujet sur le tapis et d’interpeller le gouvernement sur la situation des associations.
Propos recueillis par Michel Lulek