Depuis quelque temps, le rapprochement entre vie associative et monde de l'entreprise se fait à marche forcée. Une dynamique qui interroge sur le sens même de la vie associative et de son instrumentalisation au service de la productivité qu'elle soit sociale ou économique.
Ce qui fait la vitalité de la vie associative, c'est qu'elle intervient dans un contexte que rien ne relie à la dimension économique et que justement, elle n'est pas soumise à la logique du profit. La loi de juillet 1901 dit bien " L'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ". Elle est donc par essence hors du cadre entrepreneuriale qui se définit comme " l'action de créer de la richesse et/ou de l'emploi par la création ou la reprise d'une entreprise. Un entrepreneur, c'est donc une personne qui s'engage dans un effort visant à transformer ces idées et innovations en biens économiques ". Elle en est même antinomique terme à terme puisque dans le cas de l'association il s'agit de plusieurs personne se réunissant autour d'un but " alors que dans l'entrepreneuriat il s'agit d'un individu créant une activité économique " et que l'association énonce clairement qu'il ne s'agira jamais de partager des bénéfices " alors que l'entrepreneuriat se situe résolument dans une optique lucrative, fusse-t-elle modérée ".
Alors pourquoi cet engouement pour un rapprochement du monde associatif avec celui de l'entreprise lucrative ? Ne ressent-on pas là le contrecoup de ce qui fut dans les années 80 le triomphe de l'esprit d'entreprise et de l'individualisme qui parachèverait trente ans après son oeuvre en envahissant totalement l'ensemble du champ de l'initiative sociétale. Certes les motifs ne manquent pas : proposer aux associations de nouvelles ressources en les rapprochant du monde des fondations d'entreprises, les aider à mieux se gérer en adoptant les outils de gestions élaborés au sein des entreprises pour définir leur projet, gérer leurs entreprises et maximiser leurs profits, créer des dynamiques locales vertueuses où tous les acteurs d'un seul élan se mettent au service du développement du territoire.
Mais derrière cela, quel est le prix à payer pour les associations ? Ce continent toujours à découvrir dans lequel l'imagination, l'initiative, les solidarités nouvelles peuvent s'exprimer sans retenue. Ce formidable outil d'éducation populaire (dans le sens d'éducation du peuple par lui-même), fait d'essais et d'erreurs, d'exploration et de constructions nouvelles, de mise en relations inattendues doit-il se conformer et se soumettre aux outils de gestion d'un ensemble qui bon gré mal gré n'est qu'une instrumentalisation au service d'une productivité. Ne nous trompons pas, il ne s'agit pas ici de dénoncer l'entreprise même si on peut penser qu'elle aurait beaucoup de progrès à faire pour s'inscrire dans une logique de développement humain harmonieux.
Il s'agit de pointer les différences existentielles qui existent entre les deux mondes, celui de l'entreprise et celui de l'association. Et s'il y avait un rapprochement à faire, le monde associatif se rapprocherait plus de celui des arts et de la culture que de celui des entreprises, de la productivité et de la lucrativité. L'association doit pouvoir revendiquer le droit à la fantaisie et à son inscription dans un univers non-utilitariste. Ce n'est qu'à ce prix qu'elle sauvegardera l'esprit de la loi de juillet de 1901, au risque sinon de voir réduire son rôle à celui de bataillons de réserve intervenant sur le terrain de la guerre économique pour en " réparer " les faits à ses vaillants soldats avant de les renvoyer sur le front de la productivité déshumanisée.
On se priverait alors de la fantastique capacité de l'association de traduire en acte et en nouveaux types de rapports sociaux l'imagination, l'enthousiasme et l'inventivité dont sont porteurs les êtres humains quand ils se rassemblent pour rêver ensemble leurs utopies.