© Kathleen Rengnet
Interview de Hugues Sibille, président du Labo de l’ESS
Pensez-vous que le modèle économique des associations soit en train de changer ?
Il n’est pas en train de changer, il a déjà changé ! Sa croissance budgétaire consolidée s’est arrêtée. Surtout sa structure emplois/ressources s’est modifiée profondément. Sur dix euros dépensés il n’y en a plus que deux qui viennent des subventions mais quatre viennent désormais de la participation des usagers. Aujourd’hui le service associatif « s’achète » ! Gare aux inégalités, y compris territoriales. En quelques années les commandes publiques sont devenues la modalité dominante de financement public, favorisant les grosses associations. Tout ceci n’est pas marginal. Il faut cependant rappeler que, s’il existe une socioéconomie associative, elle s’incarne dans une multitude de modèles économiques. Les menaces varient donc beaucoup selon la taille
et le secteur. Il y a des gagnants et des perdants.
Les subventions sont-elles appelées à disparaître ?
Je ne le pense pas (et je ne le souhaite sûrement pas). Mais la question est : jusqu’où ira la dégringolade ? Les collectivités locales avaient pris le relais de l’État quand celui-ci s’est désengagé. C’est fini. Croire que les dons et le mécénat qui ne représentent que 4,6 % des ressources pourraient remplacer les 20 % de subventions publiques en se multipliant par 4, est un leurre pur et simple, un mensonge ! Il faut donc défendre la subvention ! L’avoir inscrit dans la loi de 2014 fut une sécurité juridique, pas une sécurité budgétaire. Je l’avais écrit. Il faut donc peut-être la défendre autrement. En acceptant qu’il y ait des secteurs associatifs où elle est plus indispensable que d’autres. En acceptant qu’elle soit parfois considérée comme un investissement public, dont on puisse mesurer l’impact.
Doit-on craindre un monde associatif à deux vitesses ?
Oui absolument. Craindre et donc combattre. Le risque est double. Le premier est que seules les couches moyennes intégrées, les territoires développés, accèdent aux activités associatives, pour la santé, la culture, le sport, l’éducation etc. Il en est un autre moins mis en avant, qui touche au bénévolat. Les jeunes précaires, les bas niveaux de qualification ne s’engagent pas dans le bénévolat comparativement aux couches supérieures. Or s’engager, c’est se sentir utile. Il y a là une double peine, dangereuse pour la démocratie. La désespérance sociale et la désaffiliation débouchent sur le populisme extrémiste. Il y a urgence à réagir.
Propos recueillis par La Navette