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Plusieurs chercheurs ou acteurs associatifs montent au créneau pour dénoncer l’intrusion du monde de l’entreprise dans le champ social. Un cheval de Troie ? La nouvelle secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable veut au contraire croire que l’ESS impactera l’économie normale. Qui va l’emporter ?
Le 1er octobre 2020, Olivia Grégoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable, remettait le prix du livre d'économie sociale et solidaire à Béatrice Barras pour son ouvrage « Une cité aux mains fertiles », l'histoire d'une association de Valence (Drôme) qui a révolutionné la vie d'un quartier en aménageant avec ses habitants son cadre de vie et en créant plus de deux hectares de jardins en pied d'immeuble.
L'ironie est que la militante associative a reçu le prix de la main d'une ministre dont le parcours, depuis l'ESSEC, fameuse école de commerce, jusqu'au cabinet de consultant en marketing et publicité qu'elle a fondé en 2014, est à peu près aux antipodes des valeurs et pratiques de l'associatif. Jean-François Draperi y verrait le symbole d'un « hold-up ». Celui que le « business social » a lancé, selon lui, contre l'économie sociale et solidaire (ESS) – désormais affublée du qualificatif de « responsable » dans la titulature ministérielle.
Intrusion de l'entreprise dans le champs du social
Les craintes et critiques devant cette intrusion du monde de l'entreprise, de ses grandes fondations et de ses start-up, dans le champ du social ont déjà été exprimées par des acteurs associatifs. Certains, comme le Collectif des associations citoyennes (CAC), avec véhémence, d'autres, comme le Haut conseil de la vie associative avec ses rapports de 2017 sur « les associations et l'entrepreneuriat social » et de 2019 sur « le rôle et la place des associations dans le contexte des nouveaux modèles d'entreprise », de manière plus feutrée (2).
-> A lire : Les associations ne sont pas (encore) des entreprises
Ces derniers mois, plusieurs chercheurs ont analysé ces évolutions. Dans « Réinventer l'association » (Desclée de Brouwer, 2019) Jean-Louis Laville appelle à un démarquage clair des pratiques entrepreneuriales et managériales qui s'imposent à nombre d'associations. Didier Minot (CAC) s'interroge aussi dans « À quoi sert la philanthropie » (éditions Charles Léopold Mayer, 2019) sur les dangers de la toute-puissance du « philanthro-capitalisme ». Enfin, dans « Du social business à l'économie solidaire » (éditions Eres, 2020) une quinzaine de chercheurs défendent une approche citoyenne de l'innovation sociale contre la conception technocratique et entrepreneuriale portée par les pouvoirs publics.
Confiscation de l'ESS
Le dernier coup vient de Jean-François Draperi, maître de conférences en sociologie, rédacteur en chef de la prestigieuse, vénérable et presque centenaire Revue internationale de l'économie sociale (Recma). Dans « Ruses de riches » (éditions Payot, 2020), il s'applique à démontrer comment l'application des méthodes du capitalisme financier aux activités sociales risque d'aboutir à rien d'autre que la mort du lien social, l'augmentation de la fortune des plus riches et l'accroissement des inégalités.
Et au passage à une « confiscation » des associations et de l'économie sociale. « L'entrepreneuriat social, explique l'auteur, reproduit à l'identique les techniques du capitalisme financier qui le finance : marchandisation par le biais d'une approche business, recherche de position dominante, communication et lobbying puissants et décomplexés. »
Ses armes : la philanthropie érigée en mode de régulation des problèmes sociaux et l'investissement massif dans des start-up avec l'espoir d'un retour financier grâce à l'acquisition d'une situation de monopole ou d'un remboursement via des dispositifs comme le contrat à impact social qu'Olivia Grégoire vient justement de relancer.
Alliances
Jouant de la confusion des genres (« Philanthropy is a an aspect of business »), des gens (ne voit-on pas des figures de l'ESS appuyer des entrepreneurs sociaux ?) et des mots, le business social tente de persuader que l'entreprise est l'indispensable modèle pour régler les choses. Si l'auteur ne met pas en doute la sincérité de la plupart des acteurs de ce mouvement, il veut dessiller des yeux trop naïfs et, par là-même, alerter les associations sur les risques qu'elles courent à se laisser embarquer vers les mirages du business, fût-il social.
En mai dernier, la mission parlementaire « Accélérer les alliances stratégiques entre associations et entreprises », copilotée par le Rameau, remettait ses conclusions et proposait notamment une démarche appelée « Collective Impact ». Un concept venu des États-Unis et qui désigne la démarche d'acteurs différents (entreprises, pouvoirs publics, universités, associations, etc.) qui se regroupent pour établir un programme commun destiné à résoudre un problème social identifié. Un nouveau cheval de Troie du business social ?
Olivia Grégoire ose renverser la proposition en déclarant le 2 octobre : « Nous allons essayer de faire en sorte que l'ESS inspire l'économie normale dans les mois et années qui viennent. » La bataille a commencé. Qui, au final, réussira à contaminer l'autre ?