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Interview de Laurène Dervieu, conseillère technique autonomie et citoyenneté des personnes en situation de handicap et personnes âgées à l’Uniopss, appelle à une refonte globale des Ehpad.
Quelles sont les raisons principales de la récente crise des Ehpad ?
J’en vois deux : l’absence d’accompagnement et d’anticipation de l’évolution des besoins des publics accueillis en Ehpad, et les contraintes croissantes pesant sur les Ehpad et les professionnels.
Ces dernières années, le secteur a subi de profondes transformations : augmentation du nombre de personnes accueillies, diminution des durées moyennes de séjours, changement de profil du public (personnes handicapées vieillissantes, personnes âgées atteintes de troubles psychiatriques ou encore des personnes présentant des conduites addictives que les professionnels ne sont pas formés à accompagner)…
L’évolution de ces profils a contraint les Ehpad à se médicaliser parfois même au détriment de la vie sociale du fait notamment de l’absence de financements dédiés à l’animation par exemple. Or, ils ont été insuffisamment accompagnés pour faire face à ces changements et les moyens financiers nécessaires à toute transformation d’ampleur n’ont pas suivi…
Tout le modèle des Ehpad est donc remis en cause ?
Les contraintes budgétaires croissantes ont des conséquences lourdes, tant sur les conditions de travail des professionnels que sur l’augmentation du reste à charge pour les personnes et leurs familles. L’absence d’adéquation entre la prise en compte des nouveaux profils accueillis et les dotations les conduit à fonctionner en sous-effectif, ce qui impacte le travail des professionnels. Et la démultiplication des lois, circulaires, réglementations, obligations a renforcé la responsabilité des directeurs.
Cette situation, cette complexité administrative, difficile à gérer au quotidien l’est aussi pour les équipes. Le contrôle de plus en plus important des ARS et des conseils départementaux sur les établissements est aussi un frein : les démarches administratives prennent le pas sur la gestion au quotidien et les relations entre autorités administratives et les établissements se complexifient.
Dans le même sens, le financement des Ehpad par plusieurs autorités de tarification différentes et la division entre les trois sections tarifaires des Ehpad (soin, hébergement et dépendance) n’est pas de nature à simplifier le fonctionnement et la lisibilité des établissements.
Vous appelez à une refonte globale des Ehpad...
Les établissements ont besoin d’une plus grande souplesse de gestion pour limiter le temps de travail administratif et se concentrer sur les personnes accueillies et leur bien-être.
Il faut aussi répartir les financements en fonction des besoins réels et du projet singulier de chaque établissement et non pas selon une répartition administrativement présumée, simplifier (tant pour les financeurs que pour les établissements et les personnes accueillies) et clarifier le financement des établissements.
Enfin, il faut arrêter de segmenter, dans les pratiques, le soin de la dépendance et de l’hébergement. Au regard notamment de la reconnaissance des approches non médicamenteuses et plus généralement du bien-être en tant que facteur de « soin », ces différences conceptuelles et financières n’ont plus lieu d’être. Il ne s’agit pas de supprimer le médicament ou le soin mais de reconnaître que le « prendre soin » est autant, si ce n’est plus, un vecteur de bonne santé physique et mentale de la personne.
Quel rôle l'Uniopss peut-elle jouer dans le plan d’accompagnement proposé par le gouvernement, notamment pour les Ehpad sous statut associatif ?
L’Uniopss, lors de son audition pour la mission flash sur les Ehpad portée par Monique Iborra, a déjà dénoncé une réforme tarifaire à marche forcée qui dévoile des inégalités majeures sur les territoires, et qui impacte particulièrement les Ehpad du secteur non lucratif, soumis à des tarifs hébergements encadrés par les conventions d’aide sociale qui ne leur permettent pas de compenser les conséquences négatives de la convergence tarifaire.
L’Uniopss constate avec inquiétude le mouvement de déshabilitation partielle ou totale des Ehpad à l’aide sociale vers lequel tendent certains de ces Ehpad, seul moyen leur permettant de retrouver des marges de manœuvre financière. Ce mouvement peut engendrer de grandes inégalités de traitement entre les résidents.
Si Agnès Buzyn a annoncé la poursuite de la réforme, avec une compensation financière ponctuelle, l’Uniopss entend rappeler que, plus encore que la question de la tarification, c’est le modèle de financement global de l’accompagnement et de la prise en charge des personnes âgées dépendantes qu’il faut repenser. Des pansements « ponctuels » ne suffiront pas à régler les problématiques financières durables des Ehpad.
Propos recueillis par Fatou Seye